Combattre les inégalités
Resolution Congrès 2016 – Combattre les inégalités
Les Jeunesses Socialistes Luxembourgeoises s’inscrivent dans un combat contre les injustices sociales, s’engagent pour un monde plus juste et solidaire. Nous luttons contre les inégalités dans notre société, quelle que soit leur forme. Notre génération ne veut pas devoir payer pour les méfaits qui ont été commis dans le passé. Nous appelons les responsables politiques en Europe et au Luxembourg à assumer leurs devoirs envers les citoyens et de s’engager pour une politique sociale cohérente qui profite à chacun, et non pas à une minorité d’individus.
Les inégalités : un problème mondial
Depuis les années 1980, et encore plus depuis l’éclatement de la crise financière, les inégalités connaissent une croissance qui donne lieu à des soucis fondés. Le renforcement du clivage entre les plus fortunés et ceux avec des faibles moyens de subsistance n’a cessé de croître. Ainsi, selon une étude récente d’Oxfam, 80 personnes possèdent autant de richesses que la moitié la plus pauvre de la population mondiale,[1] alors que ce n’étaient que 62 individus en janvier 2015.[2] La même étude démontre que 1% de la population la plus riche possède plus que 99% du reste du monde.
Les inégalités mondiales sont le résultat de l’évasion fiscale, de lobbying de la part des plus riches et des grandes entreprises multinationales auprès des gouvernements, mais aussi de la corruption, de mauvaises décisions politiques et de la mauvaise gouvernance des institutions. En effet, 20 mille milliards de dollars sont tenus par les plus riches dans des paradis fiscaux.[3] Ces pratiques douteuses et irresponsables ont également des répercussions négatives sur les systèmes sociaux des pays, qui se financent en grande partie par des impôts, mais auxquels se soustraient ceux qui disposent des plus grandes richesses et devraient donc aussi faire preuve de la plus grande solidarité.
Afin d’en finir avec ces injustices sociales, les pays et la communauté internationale doivent coopérer et imposer des limites claires aux pratiques qui ne font qu’aggraver la situation des plus pauvres sur notre planète. Il devient clair que l’humanité doit faire des efforts et se poser des questions sur le développement futur et les fondements de nos économies.
La situation au Luxembourg
Le clivage entre les différentes couches sociales devient également un phénomène observable au Grand-Duché. En effet, le Luxembourg n’est pas une île isolée du reste du monde, mais un pays qui connaît lui aussi des inégalités. Certes, nous sommes loin d’une situation comme aux Etats-Unis. En 2013, le ratio S80/S20 se situe en-dessous de la moyenne de l’UE-15 (4,9) avec 4,6,[4] tout comme celui des personnes en risque de pauvreté ou d’exclusion sociale (19% contre 24,4% en UE-28).[5] En 2014, malgré la crise, le Luxembourg connaissait la plus forte croissance du PIB en Europe avec 5,6%. Le PIB par habitant a progressé de 65.000 Euros en 2005 à 83.400 Euros en 2013.[6]
Ces chiffres semblent placer le Luxembourg dans une situation favorable, au moins à première vue. En réalité, plusieurs indicateurs soulignent une évolution inquiétante de la situation économique et sociale. Ainsi, le coefficient GINI[7] a connu une hausse, de 43,5 en 2005 à 48 en 2014, pour le revenu disponible équivalent.[8] L’indicateur S80/S20[9] a également augmenté, passant de 4,1 en 2003 à 4,6 en 2013.[10] Mais il ne s’agit pas des seules statistiques qui expriment une aggravation de la situation socio-économique au Grand-Duché, citons encore :
- Hausse du taux de chômage : de 2,4% en 2000 à 6,7% en 2015 (STATEC) ;
- Hausse du pourcentage des personnes en risque de pauvreté ou d’exclusion sociale : de 17,3% en 2005 à 19% en 2014 (Eurostat), alors que l’évolution s’est stabilisée en UE-28 ;
- Hausse du seuil de pauvreté : de 13,7% en 2005 à 16,4%, plus élevé que dans nos pays voisins à l’exception de l’Allemagne (STATEC) ;
- Hausse de la population vivant avec le salaire social minimum : de 15,2% en 2009 à 16,5% en 2014 (CSL).
Alors que notre gouvernement vante le Luxembourg comme place financière, lance des campagnes prestigieuses de nation-branding et préfère mettre en avant notre croissance du PIB, il ne doit pas oublier le clivage qui devient de plus en plus flagrant. Selon une étude de l’OECD, le Luxembourg se range parmi les pays avec la plus forte croissance d’inégalités.[11]
Une grande partie de la population perd en pouvoir d’achat, voire ressent de plus en plus de difficultés à boucler les fins de mois. Selon une étude de PWC de 2016, le taux d’imposition des entreprises au Luxembourg s’élève à 20,1% (en UE, seulement la Croatie enregistre un taux encore plus faible). Notons aussi que parmi les pays avec la plus forte densité de milliardaires, le Luxembourg se positionne en troisième lieu (en 2014).[12]
L’implantation de grandes entreprises multinationales, d’autant plus qu’elles bénéficient de privilèges fiscaux qui sont inacceptables dans une société démocratique doit jouer un rôle important lors de la lutte contre les inégalités.
En même temps, une grande partie de la population se retrouve dans une situation précaire : le taux de risque de pauvreté des personnes occupées de 11,2% n’est surpassé dans l’UE que par la Grèce.[13] Le rapport du taux de chômage des jeunes au taux de chômage total connaît un ratio de 4,0 en 2014, une tendance en hausse depuis 1995 et qui classe le Luxembourg en dernier lieu en UE-15. Avec un taux de risque de pauvreté des chômeurs de 53%, le Luxembourg se place en deuxième position, après l’Allemagne avec un chiffre encore plus élevé (69,3%).[14] Considérant les classes d’âges, ce sont les jeunes et les enfants qui souffrent le plus du risque de pauvreté, une pauvreté qui s’est creusée d’avantage au cours des années.[15]
Cette instabilité est accompagnée d’un écart entre les revenus qui s’est progressivement accru : entre 1997 et 2013, les revenus élevés ont plus vite augmenté (61%) que les salaires bas (41%) et les salaires moyens (58%).[16]
Ces inégalités, par ailleurs, ne concernent pas uniquement les revenus, mais aussi les sexes. Selon le Gender Equality Index de l’ONU, le Luxembourg se place en 17ième lieu, derrière tous les pays de l’Europe de l’Ouest.[17]
Une lutte contre les inégalités plus que jamais nécessaire
La politique menée ces dernières années crée des effets pervers partout en Europe et dans le reste du monde.
Pour les JSL, il est primordial d’arrêter l’évolution actuelle par des mesures adaptées. Un Etat qui réussit à garantir le bien-être de ses citoyens crée des conditions propices à une société plus démocratique, car les inégalités ne posent pas seulement un danger à la cohésion sociale, mais aussi à la vie démocratique, la stabilité politique, la paix et la sécurité. Par ailleurs, les plus riches, de par leur poids économique et financier, peuvent influencer des décisions politiques en leur faveur, au détriment du reste de la population. Or, la concentration du pouvoir dans les mains d’un petit groupe devient intenable à moyen et long terme.
En effet, une inégalité trop forte peut créer des troubles sociaux et saper la cohésion sociale, des conséquences que soulignent un grand nombre d’économistes qui ont fait de ce domaine leur objet d’étude, citons parmi eux Anthony Atkinson, Thomas Piketty ou Emmanuel Saez, qui mettent en évidence la hausse des inégalités au cours des dernières décennies et revendiquent une plus forte taxation des riches. Il existe même une corrélation entre l’intensité des problèmes sociaux et les inégalités des revenus au sein d’une société : selon l’indicateur des problèmes sociaux et de santé, le Japon se trouve en première place, avec un taux S80/20 de 3,4, le plus faible parmi les 22 pays comparés dans une étude du Inequality Trust.[18] Plus l’inégalité augmente, plus la situation sociale s’aggrave. Parmi les facteurs qui sont influencés par des inégalités trop élevées, citons l’espérance de vie, la criminalité, la mortalité infantile, l’obésité, la mobilité sociale ou encore la toxicomanie.
Une société plus équitable peut aussi avoir des répercussions positives sur l’économie, notamment à travers une croissance de la productivité et une stimulation de la consommation. Même le FMI souligne que la réduction des inégalités entraîne une stabilité économique accrue ainsi qu’une croissance plus durable.[19] Une politique qui se propose de réduire les inégalités combat également tous les facteurs propices aux groupements et partis d’extrême-droite, aux discriminations ainsi qu’aux stigmatisations des minorités. La mise en place de mesures fiscales qui favorisent les revenus les plus élevés n’aura aucun effet bénéfique sur le reste de la société. En effet, tôt ou tard, le revenu arrive à un niveau où il devient impossible de dépenser tout ; ainsi, le surplus est épargné et cela ne profite pas à l’économie. La réforme fiscale en cours doit impérativement tenir compte des inégalités et mettre en place un système d’imposition plus juste et plus équitable en faveur des revenus les moins aisés.
De la réduction des inégalités sociales découle en outre la disparition des insécurités face à l’avenir. Cela permet également de renforcer l’intérêt pour des valeurs post-matérielles, qui ne sont pas directement liées aux intérêts individuels, comme la lutte contre le réchauffement climatique ou la participation politique.[20]
Les propositions des JSL
Les Jeunesses Socialistes estiment que la lutte contre les inégalités nécessite l’intervention active de l’Etat définissant un cadre qui protège les intérêts des classes moyennes et des plus défavorisés, sans restreindre les libertés individuelles. Une telle politique passe par la voie législative, financière et budgétaire.
- Dans le cadre de la réforme constitutionnelle, inscrire la lutte contre les inégalités dans la constitution ;
- Créer un mécanisme de lutte contre les inégalités qui assurera l’identification, le monitoring et le suivi de la situation des personnes en difficultés financières et sociales;
- Augmenter le taux d’imposition pour les personnes les plus aisées ;
- Instauration de l’impôt sur la fortune.
- Création d’un fonds d’investissement étatique, afin d’accroître les capitaux propres de l’Etat par l’investissement dans des entreprises et d’utiliser les recettes perçues au profit de la collectivité et d’une diminution des inégalités intergénérationnelles ;
- Introduction dans l’impôt sur le revenu primaire d’une décote, uniquement valable pour des revenus en-dessous d’un certain seuil ;
- Introduire un impôt progressif à vie sur les successions qui prend effet à partir d’un certain montant accumulé au cours de la vie ;
- Valoriser dans l’indice des prix à la consommation (IPCN) les coûts pour la santé, l’éducation et la communication ; retirer les boissons alcoolisés, le tabac et le carburant ;
- Adapter la politique aux changements technologiques, encourager l’innovation, lancer des mesures pour lutter plus efficacement contre le chômage ;
- Renforcer le rôle du Conseil économique et social, incluant tous les partenaires sociaux;
- Le Conseil économique et social doit impérativement prendre en considération le développement durable ;
- Assurer que les syndicats et autres organisations représentant la masse salariale aient autant de pouvoir que les associations patronales et entrepreneuriales ;
- A l’instar des objectifs monétaires des banques centrales, le gouvernement doit fixer des objectifs concrets pour combattre le chômage et consolider cette politique en offrant un emploi public garanti à tous ceux qui l’acceptent ;
- Prolonger la période des allocations de chômage ;
- Abolir la règle des 52 semaines en matière de congé de maladie qui place les personnes malades dans une situation de précarité ;
- Garantir un salaire minimum légal, adapté à l’inflation, et établir un code de bonne conduite. Les entreprises qui y adhèrent s’engagent pour une rémunération des salariés au-dessus du salaire minimum ;
- Le gouvernement doit systématiquement favoriser les entreprises qui respectent ce code de bonne conduite et qui paient des salaires au-dessus du salaire minimum, p.ex. dans sa politique d’achat de fournitures ou crédit d’impôt ;
- Règlementer et réguler le stage en entreprise pour lutter contre les abus par les entreprises et contre la précarité des jeunes ;
- Introduire un « héritage minimum » sous forme d’une allocation que chaque citoyen reçoit dès qu’il atteint sa majorité ;
- Assurer, via un bon d’épargne national, un taux d’intérêt garanti sur l’épargne. Ce taux ne serait plus applicable à une épargne dont la somme dépasse un certain seuil, afin de favoriser les petits épargnants ;
- Simplifier l’accès au crédit immobilier en renforçant les garanties bancaires et en mettant l’accent sur les jeunes actifs.
[1] Oxfam, 62 people own the same as half the world, reveals Oxfam Davos report, publié le 18 janvier 2016; accessible sur: https://www.oxfam.org/en/pressroom/pressreleases/2016-01-18/62-people-own-same-half-world-reveals-oxfam-davos-report.
[2] Oxfam, Wealth: Having It All and Wanting More, janvier 2015; accessible sur: https://www.oxfam.org/sites/www.oxfam.org/files/file_attachments/ib-wealth-having-all-wanting-more-190115-en.pdf.
[3] War On Want, Only The Little People Pay Tax; accessible sur: http://media.waronwant.org/sites/default/files/only%20the%20little%20people%20pay%20tax.pdf.
[4] CSL, Panorama social 2015, Luxembourg, 2015, pp. 12-13; accessible sur: http://www.csl.lu/index.php?option=com_rubberdoc&view=doc&id=2639&format=raw.
[5] Source: Eurostat.
[6] Source: STATEC.
[7] Le coefficient GINI indique l’inégalité au sein d’une société. Plus ce taux s’approche de 100, plus la société est inégale, tandis que 0 exprime une parfaite égalité.
[8] Source : Eurostat. D’autres sources donnent des chiffres différents, mais dans chaque cas, le mouvement vers la hausse est le même.
[9] Le taux S80/S20 indique la différence entre les 20% les plus riches et les 20% les plus pauvres. Plus ce taux est élevé, plus la disparité est grande. Dans le cas du Japon, les 20% les plus riches gagnent 3,4 fois plus que les 20% les plus pauvres.
[10] CSL, Panorama social 2015, Luxembourg, 2015, pp. 12-13; accessible sur: http://www.csl.lu/index.php?option=com_rubberdoc&view=doc&id=2639&format=raw.
[11] OECD, Divided we stand. Why Inequality Keeps Rising, 2011; accessible sur: http://www.keepeek.com/Digital-Asset-Management/oecd/social-issues-migration-health/the-causes-of-growing-inequalities-in-oecd-countries_9789264119536-en#page24.
[12] ZENTHÖFER Jochen, Zäit fir ee Bilan. Die erste Bilanz der Ära Juncker, Luxembourg, 2015, pp. 24-25.
[13] CSL, Panorama social 2015, Luxembourg, 2015, pp.34-35 ; accessible sur: http://www.csl.lu/index.php?option=com_rubberdoc&view=doc&id=2639&format=raw.
[14]Ibidem, pp. 34-35.
[15]Ibidem, pp. 38-39. Voir aussi: OECD, Rising Inequality: youth and poor fall further behind, 2014; accessible sur: http://www.oecd.org/social/OECD2014-Income-Inequality-Update.pdf.
[16] CSL, Panorama social 2015, Luxembourg, 2015, pp.28-29 ; accessible sur: http://www.csl.lu/index.php?option=com_rubberdoc&view=doc&id=2639&format=raw.
[17]http://hdr.undp.org/en/composite/GII.
[18]http://inequality.org/wp-content/uploads/2011/01/health-inequality-charts.pdf.
[19] BERG Andrew G. / OSTRY Jonathan D., Inequality and Unsustainable Growth: two Sides of the Same Coin ?, FMI, 2011; accessible sur: https://www.imf.org/external/pubs/ft/sdn/2011/sdn1108.pdf.
[20] MÜLLER Henrik, Wirtschaftsirrtümer: 50 Denkfehler, die uns Kopf und Kragen kosten, 2014, p. 24.
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